Vasco Seabra : Le « Paçense » dogmatique.

Remy Martins
12 min readApr 29, 2020

Au regard de la superbe saison que Vasco Seabra est en train de réaliser du côté du modeste club de Mafra, il était nécessaire de mettre en lumière le parcours, les principes et modèle de jeu de celui que beaucoup considèrent déjà comme étant l’une des figures de proue de la nouvelle génération d’entraineur portugais.

Son parcours dans le monde du football

Enfant de Paços de Ferreira (ville du district de Porto), c’est naturellement dans cet environnement qu’il effectue ses premiers pas dans le vaste monde du football. Ainsi, il évoluera au sein de la formation du club de sa ville jusqu’à ses 18 ans où la voie universitaire l’en détournera, finalement, que partiellement. En effet, comme beaucoup, à défaut de réussir à devenir joueur, il finira par nourrir sa passion à travers la voie universitaire et la finalité corollaire… le banc de touche.

Sa première expérience professionnelle intervient au sein du club FC Lixa (2011–12) qui évoluait à l’époque en 4ème division dite « distrital ». L’année suivante il intègre la formation du club de sa ville natale jusqu’en 2015/16 (des U12 au U19) et se distingue notamment chez les U19 où il parvient à atteindre la qualification nécessaire à la lutte pour le titre national dans cette catégorie. Par la suite, en 2016–2017, il est convié à intégrer l’équipe technique au sein de l’équipe sénior en tant qu’entraineur adjoint de Carlos Pinto. À la mi-décembre, Carlos Pinto est remercié du fait du caractère anxiogène relatif au classement du club à ce moment précis (lutte pour le maintien). Dans la mesure où l’on se situe à la mi-saison, le club décide de confier les rênes de l’équipe première à Vasco Seabra jusqu’à la fin de la saison.

Dès lors, intervient le premier grand défi pour cet enfant du club et de la ville : assurer le maintien et, par voie de conséquence, pouvoir espérer être reconduit. Résultat ? V. Seabra et ses hommes y parviennent et finissent finalement 13ème avec 4 points d’avance sur le premier relégable (Arouca). Suite à cela, il continuera l’aventure chez les « castors » mais sera limogé fin Octobre après une lourde défaite face au FC Porto, 6–1. À ce moment précis, Paços était classé 12ème mais avait déjà été évincé des coupes nationales… Il rebondira à Famalicão un mois plus tard (Deuxième divison), avec pour objectif de garantir le maintien. Il y parviendra.

Enfin, apparait un défi aussi inattendu que surprenant. La liga revelação vient d’être créée (championnat U23) et il reçoit une offre d’Estoril pour prendre en charge l’équipe qui sera engagée dans cette compétition.

Replaçons les évènement dans leur contexte : il sort de deux années consécutives au niveau professionnel où, certes il a été confronté à une conjoncture pas vraiment idéale mais où il est parvenu à obtenir le résultat final escompté tout en restant fidèle à son modèle et à ses principes de jeu. Là où beaucoup aurait prôner la continuité / la stabilité, il décide de prendre un risque, faire un pas en arrière (pour en faire deux en avant par la suite ?) et accepte la proposition d’Estoril.

Pour l’anecdote, deux hommes, et pas des moindres, ont d’ailleurs influencé Vasco S. dans cette décision à travers une seule interrogation « est-ce que tu crois en toi, en tes capacités ? ». Il s’agit de Paulo Fonseca (actuel entraineur de l’AS Roma), ainsi que son adjoint Nuno Campos pour qui Vasco S. voue une admiration toute particulière, les considérant, tous deux, comme des références.

Au sein du club lisboète, il trouve un environnement propice à la démonstration de ses qualités mais également où il nourrit sa passion qu’il voue à l’entrainement, la transmission de connaissances et à l’apprentissage aux principes de jeu. Par conséquent, il sent que son travail est valorisé. Ce contexte favorable se matérialisera par une seconde place à deux points du vainqueur, Rio Ave.

En conséquence de l’excellent travail réalisé, le modeste Clube Desportivo de Mafra (2ème division) fera alors appel à ses services pour la saison actuelle. Il va sans dire qu’il y réalise un excellent travail puisque personne ne s’attendait à de tels résultats (5ème à égalité de points avec Estoril) notamment compte tenu du contexte financier que l’on connait (budget extrêmement limité) mais également compte tenu des résultats précédents (14ème la saison passée). Au delà du simple constat « résultadiste », l’équipe de Vasco Seabra s’est surtout distinguée par son jeu, conséquence d’un modèle et de principes bien définis qui ont pour seule vocation de créer les conditions nécessaires permettant un protagonisme clair avec ballon (mais également sans !).

Un modèle de jeu clairement défini et des principes sous-jacents spécifiques

À l’instar de sa grande référence dans le monde du football actuel qu’est Paulo Fonseca, Vasco Seabra peut être caractériser comme entraineur dogmatique du fait qu’il est de ceux qui pensent que le modèle de jeu doit primer sur les caractéristiques des joueurs à disposition même s’il concède que des ajustements peuvent être déterminés et mis en place pour favoriser l’intégration d’un joueur au modèle de jeu, bien que les caractéristiques de celui-ci puissent lui être réfractaires, a priori. La versatilité du modèle établi doit permettre ce genre d’ajustements visant à développer graduellement les compétences d’un joueur qui n’était, a priori, pas confortable dans ce contexte mais qui, à travers l’apprentissage, pourra, a posteriori, appliquer ces principes de jeu.

« Le modèle de jeu doit primer parce que l’on pense que notre jeu, qui en découle, est performant et que pour gagner tu dois être performant. »

« Si tu accordes une grande importance à la création à partir de derrière mais que ton défenseur central droit n’est pas vraiment à l’aise ni habile avec ballon (…) qu’il ne va pas prendre le risque d’opter pour la passe verticale cassant la ligne de pression adverse… Alors, dans ce cas là, tu peux créer une échappatoire pour ce joueur même si cela se matérialise par le fait qu’un milieu s’approche de cette zone, créant ainsi une ligne de passe plus courte. Ainsi, tes sorties de balles peuvent toujours se faire à travers le défenseur central gauche et celui de droite (même si tu sais que pour le défenseur central droit les options seront des lignes de passes plus courtes). (…) Après, si le joueur ne parvient pas à s’adapter et créer de la valeur ajoutée au sein même de ce modèle de jeu après avoir joué 1,2,3,4 ou 10 matchs, il est alors très probable qu’il commence à avoir moins de temps de jeu. »

« Je ne peux pas permettre que le modèle n’atteigne pas sa pleine capacité juste à cause d’un joueur. »

(Vasco Seabra — Interview Tribuna Expresso)

Les grands principes du modèle de jeu inhérent à Vasco Seabra sont les suivants :

L’organisation offensive depuis l’arrière, explorer les espaces derrière les lignes de pressions adverses pour pouvoir créer des occasions claires de but, défendre à travers un pressing haut de manière agressive, maintenir la cohésion entre les lignes en réduisant les espaces entre ces dernières en organisation défensive.

Le maintien de l’identité, qui a pour socle ce modèle de jeu et ses principes, est une condition sine qua non pour être compétent sur le terrain et éviter de dénaturer son jeu en allant à contre-courant du modèle établi.

Concernant les dispositifs privilégiés : sur le papier on a un 4x2x3x1 mais en réalité rien n’est fixe. Ce dernier s’articule et se détermine en fonction des principaux moments du jeu. En organisation offensive on peut observer un 3x2x4x1, un 3x4x3, ou encore un 2x2x6 lorsque la sortie en 2+2 est mise en place. À l’inverse en transition ou organisation défensive on retrouve un 4x4x2 compact, avec des lignes resserrées.

L’importance de la première phase de construction

V. Seabra accorde une importance toute particulière à la première phase de construction qu’il considère comme déterminante pour pouvoir conserver le ballon dans la moitié de terrain adverse. Dans la mesure où le souhait est de pérenniser l’action et, in fine, la progression dans le camp adverse, l’idée qu’il défend est que cela est uniquement possible en partant de l’arrière par le biais d’une relance travaillée. Il s’agit de créer les conditions essentielles afin de pouvoir conserver le ballon une fois que l’espace derrière la première ligne de pression est exploré. Tout cela indique une nécessité de savoir comment se positionner pour être prédisposé à attirer la pression adverse et ouvrir des espaces.

Il convient d’illustrer cela à travers des schématisations de l’organisation éclectique qu’adopte le Mafra de V. Seabra lors de la première phase de construction :

Organisation Offensive — Identification des espaces :

  1. Ici, l’exemple montre une des organisations prônée par V. Seabra (la plus courante). Elle se caractérise par l’intégration d’un des deux milieux devant la défense (ici J. Franco), entre les centraux pour initier la phase de construction avec 3 éléments (principalement quand l’équipe adverse presse avec au moins 2 joueurs).

Cette sortie à trois confère un certain confort au trio pour aborder la pression adverse. Dès lors, ils sont plus à même de rechercher la verticalité pour surpasser la première ligne de pression adverse à travers les solutions frontales, ici Zé Tiago & João Tavares (3+2).

Les latéraux sont, quant à eux, placés très haut afin de donner des solutions sur la largeur. Ces derniers s’avèrent être très important dans ce système.

Leur positionnement a pour objectif d’exploiter la largeur au maximum afin d’attirer la pression adverse (étirer les lignes adverses) et ouvrir des espaces pour les ailiers qui se placent entre lignes dans des zones plus intérieures créant, ainsi, une supériorité dans le cœur du jeu (ce que l’on retrouve dans le modèle de jeu de Paulo Fonseca & Nuno Campos).

2) Ici, une autre forme de sortie à 3, avec le « 10 » qui va venir se positionner sur le couloir (ici Zé Tiago).

L’objectif est toujours le même : incrémenter le nombre de joueurs concernés par cette phase de construction afin de créer une supériorité numérique permettant de faire face à la pression adverse plus confortablement.

La finalité est de pouvoir viabiliser la progression offensive. Ces différentes variantes sont nécessaires pour assurer la versatilité de la première phase de construction et ainsi agir en conséquence en fonction du comportement de l’adversaire en matière de pressing.

3) Enfin, l’autre possibilité de sortie se schématise ainsi, en 2+2. Elle est utilisée lorsque l’adversaire abdique d’une pression à 2 ou 3 et n’a qu’un seul homme s’attelant à la tâche, laissant l’initiative à l’équipe de Mafra.

Dans ce contexte, il n’y a pas nécessité d’inclure un des milieux pour sortir à 3 étant donné que la supériorité numérique est déjà avérée. On se retrouve alors avec un dispositif en 2–2–6, avec énormément de joueurs dans le coeur du jeu, (tout comme dans les autres schéma), permettant d’attirer l’adversaire dans des zones plus intérieures, et déséquilibrer par la suite, soit par la largeur et la profondeur à travers les latéraux, soit de par le positionnement entre les lignes des ailiers, créant des triangles et offrant la possibilité de créer des situations de « troisième homme ».

Ce travail de construction à partir de derrière s’avère être un apprentissage nécessaire pour le modèle de jeu de V. Seabra. L’intention est de développer chez les joueurs concernés la capacité d’appliquer ces principes de jeu de manière quasi intuitive en fonction du contexte et de la situation à laquelle ils font face. La sortie en 3+2, qui est la plus utilisée, a pour mérite d’assurer un plus grand confort non seulement en organisation offensive mais également à la perte du ballon. (exemple vidéo de ces séquences de Mafra ici, à partir de 1"08 )

— > En organisation offensive : L’inclusion du troisième joueur permet de réduire l’écart que le ballon doit parcourir, suite à la transmission, entre les deux centraux. De fait, il sécurise les échanges, fluidifie les transmissions et confère la supériorité numérique essentielle à la progression, avec ballon, dans le camp adverse.

— > À la perte du ballon : L’inclusion du troisième joueur permet de mieux réagir à la perte du ballon avec une ligne de trois qui permet une capacité de pression nettement supérieure qu’une ligne de 2.

Pour assurer le succès de cette construction, la mobilité des joueurs est essentielle. Tout est une question de recherche continuelle de disponibilité, de mobilité pour créer de l’espace, et rendre évidente des lignes de passes. L’autre pré-requis dans ce type de construction c’est la présence de soutiens (devant la ligne du ballon) lorsque l’on arrive à trouver l’espace derrière la ligne de pression adverse (d’où la grande densité dans dans les zones plus intérieures).

« On doit avoir assez d’alternatives, au sein de notre modèle, pour que notre équipe comprenne, que si je suis un joueur marqué, alors je suis mal positionné. Cela s’inscrit dans notre optique. Si je suis marqué, je suis mal positionné. Alors, je dois créer de l’espace. Et si je dois créer de l’espace, je dois donner une solution de passe à celui qui a le ballon. »

Comment se comporte l’équipe de V. Seabra en organisation défensive ?

Dans ce moment précis du jeu, le Mafra de V. Seabra, s’articule dans un 4x4x2, en bloc compact, haut, avec de la densité dans le coeur du jeu et des lignes resserrées afin de limiter le plus possible l’exploration d’espaces entre les lignes par l’adversaire. La coordination est essentielle pour assurer l’efficacité de cette structure. L’agressivité dans le pressing, la cohésion et le fait de resserrer les lignes a pour aspiration de forcer l’adversaire à sauter des lignes à travers le jeu long, et, de ce fait, la perte de contrôle et d’équilibre de l’adversaire sur le jeu.

Dans ce contexte, la préparation des appuis pour contrôler l’espace en profondeur est de mise. Dans ce type de situation, les défenseurs, ayant alors le jeu face à eux, gagneront le duel les trois quarts du temps.

Parallèlement, dans cette structure, le bloc à tendance à forcer l’adversaire à passer par la largeur en contrôlant l’intérieur du jeu.

En matière de pressing, l’équipe cherche à récupérer le ballon le plus rapidement possible. En conséquence, elle positionne son bloc assez haut. Néanmoins, l’équipe peut également opter pour laisser l’initiative à l’adversaire lorsqu’elle juge que cela peut s’avérer utile pour, a posteriori, déclencher le pressing.

La ligne défensive est capable de maintenir son positionnement haut et de réduire l’espace entre les lignes tout en pouvant adopter la stratégie contraire et contrôler l’espace dans son dos en rétropédalant si nécessaire.

En transition défensive il s’agit plus d’une équipe de réaction, on essaye de récupérer vite le ballon et seulement si on n’y arrive pas dans ce cas là on resserre les lignes pour combler les espaces.

Des références qui n’ont rien d’anodin.

Dans sa récente interview accordée au Tribuna Expresso, l’entraineur a mentionné plusieurs noms qu’ils jugent comme étant des références et qui l’ont marqué.

Au delà de sa passion pour l’entrainement qu’il associe à sa rencontre avec Rui Quinta (coordinateur technique du club de Paços de Ferreira), il mentionne également les cours de Vitor Frade à l’université, l’incroyable succès de Mourinho en 2004 qui laisse entrevoir de nouvelles opportunités pour les entraineurs n’ayant pas un passé de joueur professionnel, Jorge Jesus mais aussi Guardiola qui est, pour lui, « l’extase, pour tous ceux qui aiment le jeu ».

Guardiola, « l’extase, pour tous ceux qui aiment le jeu » dixit Vasco Seabra.

Enfin, sûrement la principale référence, incarnée par le duo Fonseca / Campos avec qui ils partagent énormément d’idées sur le jeu. Paulo Fonseca, avec qui il a co-existé durant sa période au sein de la formation des « castors » a, sans nul doute, beaucoup influencé Vasco Seabra sur le modèle de jeu et les principes que met en valeur, aujourd’hui, l’entraineur du CD Mafra. On peut trouver facilement d’évidentes similitudes, notamment quant à l’utilisation des latéraux ou encore le fait d’attirer vers l’intérieur pour exploiter la largeur et profondeur…

Paulo Fonseca et son adjoint Nuno Campos (© AS Roma)

En définitive, Vasco Seabra a un modèle de jeu élaboré et structuré. Afin d’en assurer la pleine capacité il suit le traditionnel « Apprentissage — Entraînement — Match », essentiel à l’assimilation des principes de jeu. Sa belle aventure à Mafra ne laisse présager que du bon pour cet homme qui, rappelons le, n’a que 36 ans. Un profil distinct, à l’image d’autres jeunes entraineurs que compte dans leurs rangs les ligues portugaises ( Ruben Amorim, Ivo Vieira ou encore Luis Freire).

Il me semblait, donc, pertinent de mettre en lumière ce coach très pointilleux, attaché au moindre détail et ayant pour leitmotiv « Le Jeu ! ».

Remy Martins (@remymrts)

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Remy Martins

Futebol, paixão pelo jogo e pela forma de o jogar. « Le football doit être plus que seulement gagner »